Le travail de police peut vous tuer sans

qu'aucune balle ne soit tirée

(Calibre Presse Street Survival Newsline N°266)

Au moins 70% des policiers montrent des signes de "police trauma syndrome", dont beaucoup n'ont

jamais vécu un véritable incident critique. Simplement, les effets cumulatifs du stress dans la rue les a

changés – négativement – sur le plan physique, émotionnel et psychologique par rapport à la personne

qu'ils étaient avant.

Sans que l'on s'y attende, ce job puissant peut résulter dans de graves dysfonctionnements au travail,

des relations brisées, une santé ruinée – et même un suicide. Malgré la conscience toujours plus

grande du fait que les policiers dans leur travail sont exposés à des blessures émotionnelles, la

hiérarchie continue à régulièrement empirer les choses en traitant son personnel avec un manque de

sensibilité; et les policiers qui ont besoin d'aide ne la cherchent souvent pas parce qu'ils perçoivent que

la culture policière ne cautionne pas cela.

Avec cette phrase qui fait réfléchir, "le travail de police peut vous tuer même si personne ne tire de

balles dans votre direction", la psychologue Berverly Anderson a donné le coup d'envoi d'une

conférence de trois jours à Washington DC, sur le Critical Incident Stress Debriefing. Le Dr Anderson

est présidente de l'American Academy of Police Psychology, une organisation nationale de recherche

et de formations qui se consacre à la prévention et au traitement du stress et des traumatismes chez

les policiers. Depuis dix ans, elle a aussi fonctionné en tant que directrice/administratrice de la

Washington Metropolitan Police Employee Assistance Program (MPEAP), un service de conseil et de

soutien.

Au début, le Dr Anderson a expliqué que le travail de police présente quelques similitudes avec la

situation de guerre, en particulier en tant que producteur bien connu de traumatismes psychologiques.

Et encore, alors que les soldats passent en principe des semaines ou des mois dans les zones de

combat, les policiers eux peuvent y passer 20 ans.

On ne s'habitue pas au combat, dit-elle. Les policiers peuvent dire qu'ils s'y habituent, mais une charge

s'installe sur leurs esprits et sur leurs corps, qu'ils le reconnaissent ou non. Et lorsqu'ils rentrent de la

rue, ils apportent à leur famille des échos de violence. Si vous travaillez toute la journée dans un égout,

comment pouvez-vous imaginer rentrer à la maison et ne pas sentir mauvais? Vous ne le pouvez pas!

La recherche dans le domaine de combat, du crime et des catastrophes montre que votre risque de

mauvaise santé mentale augmente proportionnellement à votre exposition à :

C la menace de mort ou de blessure physique

C la blessure réelle

C le mal volontaire

C les insultes par gestes

C la mort violente ou soudaine de personnes qui comptent dans votre vie.

"Toutes ces expériences ont tendance à faire partie du travail de police. Travailler dans la rue n'est pas

comme travailler pour IBM".

Le risque de faire l'expérience d'incidents critiques – événements majeurs, particuliers et

traumatisants – commence à être bien connu dans le milieu policier depuis quelques années. Mais ce

qui n'a pas encore été aussi bien accepté est l'effet cumulatif de l'exposition aux types d'expériences

négatives listées ci-dessus, ajoutées aux “stresseurs” quotidiens du travail dans la rue.

Ces stress courants incluent :

La fatigue. A côté de la pure fatigue, il y a la "fatigue de compassion" ou "traumatisation secondaire"

qu'entraîne le contact avec les victimes. Il y a également l'agacement ou la rage que vous pouvez

ressentir face aux gens à qui vous avez affaire.

Les montées d'adrénaline à répétition, ou même en continu.

La résolution de problèmes permanente à laquelle vous devez vous livrer durant votre service.

Le sentiment d'être responsable des gens.

L'imprévisibilité envahissante. Nous sommes des créature d'habitude; nous aimons ce qui est

prévisible. Dans le travail de police, vous ne savez jamais exactement ce qui va se produire ensuite.

L'hypervigilance.

La frustration.

Le dégout.

La nervosité liée à l'obligation de faire juste. Contrairement à la plupart des gens, ce que vous faite de

manière routinière jour après jour peut se terminer au tribunal.

Le travail en irrégulier. On n'est pas nocturne par nature. On est fait pour travailler le jour et dormir la

nuit. Vous ne vous adaptez jamais complètement au fait de travailler la nuit. Pour contrer l'inclination

naturelle du corps à baisser son activité le soir, on augmente les contraintes sur l'organisme. Et plus on

fait peser de stress sur un organisme, plus il a de chances de se détériorer.

Les souvenirs intrusifs. Il est peut-être impossible pour vous de parcourir une rue sans vous souvenir

d'une intervention de police que vous avez vécu à cet endroit.

A côté de ce qui est vécu sur la rue, il y a ce qui est vécu dans le Corps. La "deuxième blessure" est ce

que la hiérarchie souvent rajoute au problème. Très souvent, les autorités recherchent ce que les

policiers font faux, leur écrivant, les sermonnant sur-le-champ. Il n'y a aucun doute sur le fait que cela

ajoute à la blessure. Traditionnellement, les Corps ne consacrent pas beaucoup de temps ni d'argent

pour aider les policiers à se sentir mieux dans leur peau et avec leur job.

Tout cela a un effet sur votre corps – et votre esprit. En huit secondes, une montée de stress a un

impact sur votre cerveau, votre glande hypophyse, votre foie, votre pancréas, vos vaisseaux

sanguins, votre pression artérielle, vos yeux, muscles, coeur, système digestif, cholestérol, taux de

sucre, équilibre hormonal, etc.

Les êtres humains ne sont pas des créatures faites pour la souffrance. On recherche le plaisir,

non la douleur. Donc le côté contre nature d'un job qui vous expose continuellement à la souffrance

(celle des autres, et même la vôtre) finit inévitablement par faire des victimes. Un stress continu sur

plusieurs années, peut-être parsemé d'événements catastrophiques, mène toujours à des effets

délétères.

Une forme d'adaptation courante de la part des policiers est "l'insensibilité, l'engourdissement".

Jusqu'à un certain point, cela peut être nécessaire et protecteur dans ce job car si les policiers

montraient de l'émotion pour chaque situation difficile, ils ne pourraient pas travailler correctement.

Mais il n'est pas possible de se couper de ses émotions seulement au travail. Le cerveau ne fonctionne

pas ainsi. L'insensibilité se ramène donc à la maison et rapidement, elle s'étend à tous les événements

que l'on vit. A la maison, on porte alors le masque du policier. Certaines épouses de policiers

l'appellent "yeux morts".

Si vous vous trouvez avec des amis civils, vous apprenez à ne pas parler des aspects négatifs de votre

travail, parce que vous pouvez lire le sentiment d'horreur sur leur visage ou alors vous avez à supporter

leurs commentaires ridicules de personnes qui n'y connaissent rien.

Parmi les autres policiers, il y a souvent une "conspiration du silence" autour des émotions liées au

travail, à part éventuellement le fait de se plaindre et d'exprimer sa colère. Si vous faites l'expérience

d'autres émotions difficiles, les autre policiers risquent de vous traiter comme un lépreux. Ils ne veulent

pas voir un collègue vivre des émotions, car ils ont l'impression de se retrouver face à une de ces

victimes qu'ils rencontrent dans leur travail.

Cette incapacité à parler de ses émotions a un nom dans les sciences humaines: l'alexythymie. En

l'absence d'une forme constructive de table ronde où les parties inquiétantes du travail peuvent être

reconnues, ventilées et discutées, les policiers ont tendance à enfouir leurs sentiments. Et pour les

garder bien enfouis, ils peuvent faire usage de diversions telles que l'excès d'alcool (certains

considèrent la boisson comme la meilleure amie du policier), la prise de risque ou les dépenses

compulsives, la boulimie, la consommation de sexe, l'infidélité et autres comportements

"apaisants" mais destructeurs.

Ce job vous change ! Les policiers ne parlent pas de cela parce qu'ils ne savent pas comment le faire;

on ne le leur a pas dit, et ils n'en comprennent pas l'importance. Ils baissent rarement leur garde

émotionnelle en la présence d'autres, de telle sorte que les gens autour d'eux ne peuvent pas savoir ce

qui se passe à l'intérieur.

Typiquement, les relations en souffrent et le policier développe un regard sur les gens et sur la vie qui

devient rageur, cynique, paranoïaque et aigri. Dr Anderson cite un policier: "Les choses dont je ne parle

pas sont mes réels sentiments intérieurs. J'ai enfoui toute ma peur. J'ai enfoui toute ma tristesse.

Ensuite, j'ai commencé à enfouir toute ma gaieté et j'ai perdu complètement mon émotivité.

En ne les montrant pas, j'ai fini par ne plus les ressentir. Confronté au mal quotidiennement, j'ai

commencé à douter de l'existence de la vérité, de l'honnêteté et de la bonté. En fin de compte, il n'y

avait plus rien de positif en quoi je puisse croire. J'ai perdu ma famille. J'ai perdu mes vieux amis. Et je

me suis perdu moi-même. J'ai perdu mon humanité.”

Le suicide peut devenir l'extension ultime de ce que Anderson appelle le "police trauma syndrome".

Mais sur son chemin figurent le divorce, la violence domestique, l'alcoolisme, les maladies du

coeur, les attaques, le cancer, le diabète, la dépression – tous des maux dont la fréquence en milieu

policier est alarmante.

Le police trauma syndrome peut être décrit comme "un trouble psycho-biologique se développant

dans le temps en relation avec une exposition prolongée et cumulative au stress. Le policier touché

fait l'expérience de symptômes physiques, cognitifs et émotionnels qui sont directement liés à la

profession qu'il exerce. Dans un stade final, ce trouble peut rendre le policier incapable d'exercer

sa fonction.

Le Dr Anderson identifie 5 stades pouvant potentiellement mener à un grave police trauma

syndrome. Il est évident que tous les policiers ne s'effondrent pas jusqu'au dernier stade, mais selon

elle au moins 7 sur 10 montrent néanmoins des signes de certains stades.

Le stade initial ou du débutant. Il est caractérisé par le choc, la mise en miette des idées qu'on s'était

fait sur les gens et sur le monde. Vous pouvez commencer votre carrière en pensant que vous allez y

changer quelque chose. Puis vous prenez conscience de la réalité du système de l'injustice criminelle,

de la bureaucratie et des politiques de votre département, ainsi que de l'inutilité du job (vous pouvez

arrêter tant de personnes que vous voulez, il y en a toujours plus qui reviennent).

Le stade John Wayne. Compensant le choc du stade 1, vous devenez un accro de l'adrénaline.

Vous disposez alors de tout les gadgets de police que vous pouvez imaginer. Vous devenez très dur

verbalement. Vous imaginez ne pas pouvoir être atteint, être imperméable aux balles. Vous n'avez à ce

stade pas encore fait l'expérience d'une situation de travail tragique ou perdu un ami durant une

intervention. Vous luttez au nom de votre idéalisme. L'enfouissement des émotions commence

souvent à ce stade. Vous pouvez ne pas vous rendre compte que vous vivez des émotions. Vous

considérez que la plus grande faiblesse serait de montrer ses émotions.

Le stade professionnel, de contrôle. Votre "armure" s'installe. Vous vous dites: j'y suis habitué

maintenant, cela ne me dérange pas. Dans un sens, c'est bien: vous avez atteint un certain équilibre

dans votre travail. Mais sans connaissances dans le domaine du stress et du traumatisme, vous vous

dirigez tout droit vers les problèmes. Cela ne s'arrêtera pas là si vous restez sur la rue. Tôt ou tard, le

syndrome progressera comme une conséquence naturelle du travail, à moins que vous ne fassiez

quelque chose pour le prévenir.

Le stade du burnout. Vous êtes consumés par l'engourdissement émotionnel et la rage. Vous êtes

irritable et fâché tout le temps, vous vous plaignez de tout, ne pouvez plus supporter le changement,

êtes très susceptible de commettre des violences policières ou d'autres graves fautes

professionnelles.

Le police trauma syndrome complet. Vous avez perdu le contrôle. Vous ne pouvez plus faire votre

job. Les policiers qui présentent le risque le plus élevé de développer un grave police trauma syndrome

sont ceux qui: sont isolés émotionnellement; ont fait l'expérience de plusieurs événements

critiques non résolus; pensent que demander de l'aide est un signe de faiblesse; utilisent l'alcool

pour gérer le stress; évitent de parler des problèmes; vivent de sérieux stress en dehors du travail (vie

familiale, problèmes avec la justice, ...); ne se rendent pas aux sessions de debriefing.

Le Dr Anderson s'irrite de la psychologie de police traditionnelle qui a tendance à "pathologiser" les

policiers qui vivent des problèmes psychologiques en les considérant comme "faibles, malades,

blessés". Le police trauma syndrome, dit-elle, n'est pas une maladie mentale. C'est une réaction

aux événements, une adaptation dans laquelle le policier tente de retrouver un équilibre. C'est

possible à la fois de le prévenir et de le guérir.

Avant même que les policiers ne se rendent dans la rue, eux et leur famille devraient être informés des

risques émotionnels et des symptômes du trouble. Comme nous l'avons répété depuis des années

dans nos séminaire de "survie dans la rue", ce "stress inoculation" peut avoir un sérieux effet préventif

en soi.

Une fois en service, les policiers devraient avoir un accès sans conséquences à des collègues formés

et à des professionnels qui peuvent les debriefer des expériences qu'ils vivent dans la rue de manière

confidentielle, constructive et sans jugement. Après un événement particulièrement important tel

qu'une fusillade, ces debriefings devraient être obligatoires. Personne, même en très bonne santé et

bien entraîné, est complètement à l'abri de réactions après un incident critique. Le fait de rendre les

debriefings obligatoire élimine le risque de stigmatisation de ceux qui demandent de l'aide, ce qui est

souvent considéré comme un acte de faiblesse dans la culture policière.

En plus d'équipes de collègues entraînés, les policiers devraient aussi avoir accès à un

professionnel qui: est indépendant de la hiérarchie mais en est familier (si les gens craignent que le

thérapeute soit politiquement allié avec la hiérarchie, ils ne lui feront pas confiance); est formé et ayant

de l'expérience dans le domaine du traumatisme (le police trauma syndrome est souvent mal

diagnostiqué dans le monde des soins, ce qui va stigmatiser le policier et entraver le processus de

guérison); agit avec une stricte confidentialité (tout doit être confidentiel, à 4 exceptions près: si la

personne est en danger et ne cherche pas d'aide; si elle constitue un danger pour autrui; si elle touche

à des drogues illégales et si elle est impliquée dans un abus d'enfant); n'a pas de rôle dans les

qualifications et promotions; peut offrir un soutien dans la gestion du stress.

Pour permettre une guérison, vous devez raconter votre histoire et ressentir les émotions. Mais vous

devez également bénéficier d'un but écrit et de techniques et méthodes qui vous permettent d'atteindre

ce but.

Un changement dans le style de management peut aussi avoir un effet positif dans le sens d'une

réduction du stress. Vous avez besoin d'un management qui passe autant de temps à écrire au sujet

des bonnes choses que vous avez réalisées qu'au sujet de celles que vous avez fait faux.

Une chimère? Probablement. Malheureusement, malgré la nécessité démontrée de procéder autrement, la

plupart des Corps persistent à fonctionner selon une philosophie centrée sur la faute. Ils avancent l'argument: "Si

vous ne pouvez supporter la chaleur, sortez de la cuisine".

Texte original traduit de l'anglais par Aurélie Chevalier, psychologue du Corps de Police, Ville de Lausanne.

Si vous souhaitez apporter un commentaire, une expérience personnelle à ce sujet, n'hésitez pas. Ecrivez à

Aurélie Chevalier, par e-mail à ou par courrier postal : Hôtel de police, rue

Saint-Martin 33, 1005 Lausanne.

Merci de faire référence à l'article lu sur le site Internet IPA-Vaud.

 

 

Le stress chez les policiers
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